Comment Wang-Fô fut sauvé
Marguerite Yourcenar
Troupe d’élèves de 2nde 5
Adaptation de la nouvelle de Marguerite Yourcenar par des élèves de 2nde 5
dans le cadre du projet CDI « Aux Arts Lycéens ! » consacré à l’Orient (et plus particulièrement à l’Asie)
Représentation le mercredi 24 mai, à 10h20, en salle théâtre du lycée Voltaire
« Comment Wang Fô fut sauvé » , Nouvelles Orientales, 1963
Pièce en trois actes
Acte I La rencontre
Acte II La voie de Wang Fô
Acte III Le fils du ciel
Au royaume de Han, il y a bien longtemps…
Personnages Acteurs
La grand-mère (récitant) Charline
L’enfant Chihiro (récitant) Madeline
Wang-Fô Stéphanie
Ling Amélia
La femme de Ling Sarah
L’Empereur, le fils du ciel Quentin
Le Chœur (masque) Clément
Une marchande Sarah
Les buveurs Sarah ; Quentin ; Jaber
Le tavernier Alexandre
Les soldats de l’Empereur Alexandre – Clément
Le Ministre des plaisirs parfaits Charline
Le Conseiller des justes tourments Madeline
Les acteurs jouent plusieurs rôles.
Les changements de décor se feront par des acteurs en noir et feront partie de la mise en scène.
Prévoir passage entre le panneau de fond et les coulisses pour les acteurs.
ACTE I
Plateau nu – arbuste au milieu de la scène en retrait. Fond rideau / décor pour effet lumineux (nuit / jour)
CHIHIRO : Oh ! Non, Grand-Mère, raconte-moi comment Wang-Fô fut sauvé !
Entrée en scène à gauche de Wang-Fô et Ling. Ils traversent lentement le plateau.
Les personnages miment la scène et se sont arrêtés. Entrée de la marchande qui les rejoint.
Ils étaient pauvres, car Wang-Fô troquaient ses peintures contre une ration de bouillie de millet et dédaignait les pièces d’argent. Son disciple Ling, pliant sous le poids d’un sac plein d’esquisses, courbait respectueusement le dos comme s’il portait la voûte céleste, car ce sac, aux yeux de Ling, était rempli de montagnes sous la neige, de fleuves au printemps, du visage de la lune d’été.
Wang-Fô et Ling sortent lentement pendant que le chœur entre en scène et s’adresse au public.
LE CHŒUR : Ling n’est pas né pour courir les routes au côté d’un vieil homme qui s’emparait de l’aurore et captait le crépuscule. Il avait grandi dans une maison d’où la richesse éliminait les hasards. Cette existence soigneusement calfeutrée l’avait rendu timide : il craignait le tonnerre, les insectes et le visage des morts. Quand il eut quinze ans, son père lui choisit une épouse et la prit très belle.
Ils entrent en scène chacun d’un côté et se rejoignent dans l’arbre. Effet de lumière.
Elle était frêle comme un roseau, enfantine comme du lait, douce comme la salive, salée comme les larmes. Après la noce, les parents de Ling poussèrent la discrétion jusqu’à mourir et leur fils resta seul en compagnie de sa jeune femme qui souriait sans cesse, et d’un prunier qui chaque printemps donnait des fleurs roses. Ling aima cette femme au cœur limpide comme on aime un miroir qui ne se ternirait pas, un talisman qui protégerait toujours.
Sortie du chœur : Les récitants sortent de l’ombre pendant que Ling et sa femme disparaissent ensemble. Lors des répliques des récitants le décor de la taverne est mis en place : les personnages s’installent et miment la scène.
GRAND-MERE : Tu es bien impatient mon enfant ! Chut, écoute, vois-tu la taverne allumée là-bas ?
CHIHIRO : Oui.
GRAND-MERE : C’est là qu’une nuit Ling eut Wang-Fô comme compagnon de table. Le vieil homme avait bu pour se mettre en état de mieux peindre un ivrogne. L’alcool de riz déliait la langue de cet artisan taciturne et Wang ce soir-là parlait comme si le silence était un mur, et les mots des couleurs destinées à le couvrir.
Sortie des récitants.
LING faisant signe au patron de la taverne : combien vous dois-je pour moi et cet homme ?
LE TAVERNIER : deux pièces d’argent ! Ce pauvre homme n’a pas l’air d’avoir un toit pour s’abriter, et… L’orage gronde…
LING s’inclinant devant Wang-Fô : Vénérable maître acceptez l’hospitalité de mon humble maison. Vous me parlerez encore de la zébrure livide de l’éclair et je n’aurai plus peur de l’orage…
WAN-FÔ : Je te remercie et te suis…
ACTE II
Ils font route ensemble : Ling tient une lanterne. Pendant ce temps, changement de décor : un matelas est installé à gauche de la scène.
Ling couche respectueusement le vieillard et le veille. Entrée en scène du Chœur.
Ling fit poser sa propre femme sous le prunier du jardin. Wang-Fô la peignit en costume de fée parmi les nuages du couchant, et la jeune femme pleura, car c’était un présage de mort.
Sortie de Ling et de Wang-Fô. Elle reste seule au pied du prunier.
FEMME DE LING : depuis que le vieux Wong-Fô habite avec nous, je n’existe plus aux yeux de Ling. Il ne voit que lui, qu’à travers lui… Il ne me voit que dans les portraits du maître et les préfère à moi… Je ne suis qu’une image, un reflet… pourquoi continuer à vivre…
Elle ferme les yeux et semble s’endormir.
LE CHŒUR : c’est ainsi qu’un matin elle s’éteignit au pied du prunier rose…
Entrée en scène des récitants.
GRAND-MERE : Ling vendit successivement ses esclaves, ses jades et les poissons de sa fontaine pour procurer au maître des pots d’encre pourpre qui venaient d’Occident. Quand la maison fut vide, ils la quittèrent, et Ling ferma derrière lui la porte de son passé. Ils vagabondèrent ensemble sur les routes du royaume de Han…
CHIHIRO : … Tout le monde les connaissait et on disait que Wang-Fô avait le pouvoir de donner la vie à ses peintures. On l’honorait comme un sage ou on le craignait comme un sorcier !
GRAND-MERE : Oui mon enfant, ils mendiaient pour vivre et veillaient l’un sur l’autre. Le soir quand le maître découragé jetait ses pinceaux sur le sol, Ling les ramassait et lorsque Wang était triste et parlait de son grand âge, Ling lui montrait en souriant le tronc solide d’un vieux chêne. Un jour, au soleil couchant, ils atteignirent les faubourgs de la ville impériale…
Une lumière d’aube éclaire la scène, entrée bruyante des soldats. L’un deux pose sa main lourdement sur la nuque de Wang-Fô qui ne peut s’empêcher de remarquer que leurs manches ne sont pas assorties à la couleur de leurs manteaux. Soutenu par Ling, il suit les soldats en trébuchant.
WANG- FO : que se passe t-il ? Où nous emmenez-vous ?....Répondez moi !...
Les soldats ne répondent que par des grognements et entraînent les deux hommes sans ménagement.
ACTE III
Dans la salle du trône : l’Empereur est à gauche de la scène, entouré de ses deux ministres (il est plus haut qu’eux). Les soldats entrent avec Wong-Fô et Ling, les mains liées, qu’ils jettent aux pieds de l’Empereur. Une table basse et du matériel de peinture à côté d’une toile peinte dans un coin. Le fils du ciel est impassible comme un miroir placé trop haut, qui ne reflète que les astres et l’implacable ciel. Comme ses courtisans tendent l’oreille pour recueillir le moindre de ses mots, il a pris l’habitude de parler toujours à voix basse.
L’EMPREUR : Tu me demandes ce que tu m’as fait, vieux Wang Fô ?
L’EMPEREUR, se penchant vers le vieil homme : Tu me demandes ce que tu m’as fait, vieux Wang Fô ? Je vais te le dire. Mais pour te mettre en présence de tes torts, je dois te promener le long des corridors de ma mémoire, et te raconter toute ma vie. Mon père avait rassemblé une collection de tes peintures dans la chambre la plus secrète du palais. C’est dans ces salles que j’ai été élevé, vieux Wong-Fu car on avait organisé autour de moi la solitude pour me permettre d’y grandir. Pour éviter à ma candeur l’éclaboussure des âmes humaines on avait éloigné de moi le flot agité de mes futurs sujets, et il n’était permis à personne de passer devant mon seuil. Les heures tournaient en cercle ; les couleurs de tes peintures s’avivaient avec l’aube et pâlissaient avec le crépuscule. La nuit, quand je parvenais à dormir, je les regardais et pendant près de dix ans je les ai regardées toutes les nuits. Le jour, je rêvais aux joies que me procurerait l’avenir. Je me représentais le monde. Tu m’as fait croire que la mer ressemblait à la vaste nappe d’eau étalée sur tes toiles, si bleue qu’une pierre en tombant ne peut se changer qu’en saphir, que les femmes s’ouvraient et se refermaient comme des fleurs, pareilles aux créatures qui s’avancent, poussées par le vent, dans les allées de tes jardins. A seize ans, j’ai vu rouvrir les portes qui me séparaient du monde : je suis monté sur la terrasse du palais pour regarder les nuages, mais ils étaient moins beaux que ceux de tes crépuscules. J’ai parcouru les provinces de l’empire sans trouver tes jardins pleins de femmes semblables à des lucioles, tes femmes dont le corps est lui-même un jardin. Les cailloux des rivages m’ont dégoûté des océans ; la vermine des villages m’empêche de voir la beauté des rizières ; la chair des femmes vivantes me répugne comme la viande morte qui pend aux crocs des bouchers, et le rire épais de mes soldats me soulève le cœur. Tu m’as menti, Wang Fô, vieil imposteur : le monde n’est qu’un amas de tâches confuses, jetées sur le vide par un peintre insensé, sans cesse effacées par nos larmes. Le royaume de Han n’est pas le plus beau des royaumes et je ne suis pas l’Empereur. Le seul empire sur lequel il vaille la peine de régner est celui où tu pénètres, vieux Wong, par le chemin des Milles courbes et des Dix Milles couleurs. Toi seul règne en paix sur des montagnes couvertes d’une neige qui ne peut fondre et sur des champs de narcisses qui ne peuvent mourir. Et c’est pourquoi Wong-Fô, j’ai cherché quel supplice te serait réservé, à toi dont les sortilèges m’ont dégoûté de ce que je possède et donné envie de ce que je ne posséderai pas…
WONG –FO : Je n’ai jamais cherché à te mentir, Fils du ciel, j’ai peint ce que mon âme voyait à travers mes yeux. Ils ne sont que les portes de mon humble royaume, comme mes mains sont les deux routes aux dix embranchements qui mènent à son cœur… Quel sort me réserves tu ? Me faire disparaître ? M’enfermer dans un cachot ?
L’EMPEREUR : Pour t’enfermer dans le seul cachot dont tu ne puisses sortir, j’ai décidé qu’on te brûlerait les yeux et qu’on te couperait les mains. M’as-tu compris, vieux Wong-Fô ?
En entendant cette sentence, Ling arrache de sa ceinture un couteau ébréché et se précipite sur l’Empereur. Les gardiens le saisissent. L’Empereur sourit et ajoute dans un soupir.
L’EMPEREUR : Je te hais aussi, vieux Wong-Fô, parce que tu as su te faire aimer. Tuez ce chien !
Ling fait un bond pour éviter que son sang vienne tâcher la robe de son maître. Un des soldats lève son sabre et tue Ling. Ils l’emportent pendant que Wong-Fô laisse couler ses larmes.
Ecoute, vieux Wong-Fô sèche tes larmes car ce n’est pas le moment de pleurer. Tes yeux doivent rester clairs, afin que le peu de lumières qu’il leur reste ne soit pas brouillé par tes pleurs. Car ce n’est pas seulement par rancune que je souhaite ta mort ; ce n’est pas seulement par cruauté que je veux te voir souffrir. J’ai d’autres projets vieux Wong-Fô. Je possède dans ma collection de tes œuvres une peinture admirable mais inachevée et ton chef d’œuvre est à l’état d’ébauche. Je veux que tu consacres les heures de lumière qui te restent à finir cette peinture, qui contiendra ainsi les derniers secrets accumulés au cours de ta longue vie. Mais si tu refuses, avant de t’aveugler, je ferai brûler toutes tes œuvres !
WANG-FO : Tu n’en auras pas besoin, Dragon céleste, car pour moi ce dernier commandement est un cadeau au vieil artiste que je suis. Tu le sais, la toile est la seule maîtresse que je n’aie jamais caressée et m’offrir des pinceaux, des couleurs et de l’encre pour occuper mes dernières heures c’est faire l’aumône d’une fille de joie à un homme qu’on va mettre à mort.
L’EMPEREUR : Amenez-lui la peinture.
WONG-FO : cette esquisse me rappelle ma jeunesse… Mais il y manquait quelque chose car à l’époque où je l’ai peinte je n’avais pas encore contemplé de montagnes, ni de rochers baignant dans la mer leurs flancs nus, et je n’étais pas assez pénétré de la tristesse du crépuscule…
LING : Vous vivant, comment aurais-je pu mourir ?
Il le prend par le bras pour l’emmener dans le tableau.
WANG-FO : Regarde mon disciple, ces malheureux vont périr, si ce n’est déjà fait. Je ne me doutais pas qu’il y avait assez d’eau dans la mer pour noyer un Empereur. Que faire ?
LING : Ne crains rien, Maître, bientôt ils se trouveront à sec et ne se souviendront même pas que leur manche ait jamais été mouillée. Seul l’Empereur gardera au cœur un peu d’amertume marine. Ces gens ne sont pas fait pour se perdre à l’intérieur d’une peinture… La mer est belle, le vent est bon, les oiseaux marins font leur nid. Partons, mon Maître, pour le pays au-delà des flots.
WONG-FO : Partons.
Ils s’éloignent à travers le cadre, dans la peinture… L’eau diminue progressivement… l’Empereur penché en avant les regarde s’éloigner. La lumière baisse et les récitants apparaissent.
CHIHIRO : Alors grand-mère, on ne les a plus jamais revus !
GRAND-MERE : Non mon enfant, Wong-Fô et son disciple ont disparu à jamais sur cette mer de jade bleue que Wong-Fô venait d’inventer…